Dans la presse...

 

La déleucocytation de tous les produits sanguins labiles a été introduite en France le 1 er avril 1998. Celle-ci permet, entre autres, de diminuer les réactions de frissons hyperthermie chez les transfusés, les allo-immunisations anti-HLA et la transmission transfusionnelle du cytomegalovirus. Une étude américaine rétrospective vient d’apporter des informations intéressantes et inattendues sur la déleucocytation et la diminution des complications cardio-pulmonaires transfusionnelles, « Transfusion related acute lung injury » (TRALI) et œdème pulmonaire (« Transfusion-associated circulatory overload », TACO) (Blumberg et al. An association between decreased cardiopulmonary complications (transfusion-related acute lung injury and transfusion-associated circulatory overload) and implementation of universal leukoreduction of blood transfusions. Transfusion, 2010;50:2738-2744).

Les auteurs ont, au préalable, posé plusieurs hypothèses :

Les auteurs ont, au vu de résultats plus récents, émis l’hypothèse que la déleucocytation aurait une incidence sur le TACO (élimination des médiateurs liés aux leucocytes).

Les auteurs ont étudié quatre types d’effet indésirables receveurs (TRALI, TACO, réactions fébriles et réactions allergiques) sur deux périodes différentes : une première période de sept ans (1993-1999) avant déleucocytation, une seconde période de sept ans avec déleucocytation (2001-2007), celle-ci ayant été mise en pratique en 2000.

La déleucocytation des concentrés érythrocytaires était effectuée avant stockage, celle des concentrés plaquettaires avant poolage. Les plasmas frais congelés n’étaient pas déleucocytés avant stockage et le nombre de plasma frais congelés fabriqués à partir de sang total déleucocyté n’est pas connu. Aucune sélection du sexe du donneur pour ces produits n’a été encouragée. Les auteurs soulignent que des pratiques locales des cliniciens pouvaient avoir une influence sur les taux de réactions transfusionnelles (par exemple l’utilisation de produits déleucocytés ABO identiques entre 1993 et 2007 chez des patients sous chimiothérapie ou greffé médullaire pour hémopathies).

Sur les 14 ans, les deux mêmes cliniciens ont évalué les effets indésirables et utilisé les mêmes critères.

La diminution des taux de TRALI et de TACO observée sur les 7 années après l’introduction de la déleucocytation était significative à 83 et 49% respectivement. Pour les concentrés érythrocytaires, un TRALI et 9 TACO ont été observés après la déleucocytation contre 3 et 19 avant. Les auteurs soulignent que cette observation s’est faite en dépit d’une augmentation du nombre de transfusions. Un constat analogue est réalisé avec les produits plaquettaires : 3 TRALI et 5 TACO avant déleucocytation, contre aucun TRALI et un TACO après. Par contre, pour le plasma frais congelé et les cryoprécipités, le nombre total de cas de ces deux effets indésirables était identique sur les deux périodes : 7. L’amplitude de la diminution de l’incidence de TRALI et /ou de TACO pour les produits cellulaires était de plus du double par rapport aux produits plasmatiques.

Pour les réactions allergiques, aucune variation d’incidence sur les deux périodes n’était observée, tandis que les réactions fébriles chutaient de 34% après introduction de la déleucocytation. Sur les 14 années d’études, aucun cas de TRALI ou de TACO n’a été constaté suite à la transfusion de concentrés érythrocytaires et plaquettaires déleucocytés et lavés. Au total, un nombre significativement plus faible de TRALI et de TACO a été notifié sur la seconde période avec les transfusions de concentrés érythrocytaires et plaquettaires déleucocytés : 11 sur 309 161.

Dans la discussion, particulièrement intéressante, les auteurs mettent en avant les associations inattendues et inexpliquées en matière d’effets indésirables après introduction de la déleucocytation.

La déleucocytation du sang total a un impact sur les cas de TRALI qu’elle réduit significativement via les leucocytes, les plaquettes et leurs médiateurs (rôle du CD40L par exemple).

Un constat inattendu : la réduction significative du nombre absolu de TACO après introduction de la déleucocytation. Cette observation amène les auteurs à s’interroger sur le rôle des médiateurs leucocytaires et plaquettaires en sus du volume lui même dans la genèse d’un TACO (l’insuffisance cardiaque est exacerbée par les médiateurs de l’inflammation).

La réduction des cas de TRALI et TACO après transfusion plaquettaire suite l’introduction de la déleucocytation : cette opération réalisée sur les plaquettes au moment de leur libération plutôt qu’avant leur stockage permettrait d’éliminer les microparticules dérivées des plaquettes et des leucocytes voire des médiateurs (adhérence sur le filtre).

Ces observations conduisent à repenser les modèles animaux et à entreprendre de nouvelles investigations. Malgré le caractère rétrospectif de l’étude et le petit nombre de cas observés, le lien réduction des cas de TRALI et TACO / déleucocytation est renforcé par le fait que le nombre de réactions allergiques n’est pas modifié par la déleucocytation. Les auteurs soulignent par ailleurs que le nombre de TACO par transfusion de plasma frais congelé a augmenté sur la période avec déleucocytation (6 contre 2 sur la période sans déleucocytation) mais les réactions allergiques sont demeurées stables. Ils insistent sur le fait que les règles de déclaration et les deux praticiens évaluateurs ont été les mêmes sur les 14 années et qu’aucune diminution d’utilisation des produits cellulaires n’a eu lieu chez les patients sévèrement atteints. Enfin, les chiffres de prévalence sont similaires à ceux observés en Grande Bretagne. Des études prospectives et en aveugle seront nécessaires pour confirmer ces observations et préciser le rôle des médiateurs présents dans les surnageants des produits cellulaires.

Pour maintenir l‘autosuffisance en matière de produits sanguins labiles, en particulier du point de vue du nombre de dons, les autorités sanitaires ont été amenées à décider un allongement de la durée effective pour le don du sang en reculant l’âge

de cessation du don. Apprécier l’impact du stockage sur des produits sanguins labiles prélevés chez les donneurs les plus âgés est une des conséquences de cette mesure. Une équipe germano-américaine vient d’étudier la susceptibilité de concentrés érythrocytaires stockés au stress mécanique prélevés chez des donneuses ménopausées (Raval et al. Menopausal status affects the succeptibility of stored RBCs to mechanical stress. Vox Sanguinis 2010;99:325-331).

Neuf concentrés érythrocytaires déleucocytés avant stockage (prélèvement sur AS-5, origine américaine) de donneuses âgées de plus de 55 ans et 11 concentrés érythrocytaires déleucocytés avant stockage (prélèvement sur SAGM, origine allemande) ont été analysés. Les concentrés érythrocytaires sur AS-5 ont été évalués à J7, J28, J42 et J49 de stockage et ceux sur SAGM à J7, J21, J35 et J42. Un paramètre a été étudié : l’index de fragilité mécanique (« mechanical fragility index », MIF) qui est un élément témoignant de la sensibilité des globules rouges aux effets du stress mécanique. Les auteurs ont comparé les valeurs obtenues avec celles d’une précédente étude où ils montraient que le MFI était plus élevé sur des concentrés érythrocytaires stockés prélevés chez des donneurs que sur des concentrés érythrocytaires stockés prélevés chez des donneuses avant la ménopause.

Les âges moyens des donneuses de concentrés érythrocytaires sur AS-5 et sur SAGM étaient respectivement de 68,2 ans et de 61,8 ans. Ces donneuses étaient plus âgées que les hommes et les femmes de la précédente étude. Chez les donneuses ménopausées, le MFI augmente significativement durant toute la durée du stockage, que ce soit pour les concentrés érythrocytaires sur AS-5 comme pour ceux sur SAGM. Celle-ci est statistiquement significative.

La moyenne du MIF des concentrés érythrocytaires prélevés chez des donneuses ménopausées, quelque soit la durée de stockage et le type de solution de conservation n’était pas statistiquement différente de celle obtenue pour des concentrés érythrocytaires prélevés chez des donneurs de l’étude précédente. Par contre, elle était significativement plus élevée que celle calculée pour des concentrés érythrocytaires de donneuses non ménopausées. Les ratios des MFI donneurs / donneuses ménopausées étaient restés stables pour chaque point étudié sur la durée du stockage que ce soit pour les concentré érythrocytaires sur AS-5 ou sur SAGM. Enfin, les taux d’hémolyse pour l’ensemble des concentrés érythrocytaires évalués étaient demeurés bas tout au long de la période d’étude.

Les auteurs notent que l’impact de cette modification de la fragilité mécanique des globules rouges chez les receveurs n’a pas encore été établi. Ils évoquent également le rôle possible de facteurs hormonaux, notamment les taux d’œstrogènes et de progestérone avant et après ménopause. La progestérone, en particulier, aurait un rôle protecteur de la membrane du globule rouge.

Chez les donneuses ménopausées, les valeurs absolues du MIF étaient plus élevées pour les concentrés érythrocytaires prélevés sur SAGM que sur AS-5 (concentration plus élevées de protéines plasmatiques dans les concentrés érythrocytaires sur AS-5, protection accrue de la membrane érythrocytaire). L’influence de la prise éventuelle de traitement hormonal substitutif n’a pu être analysée, le questionnaire américain n’incluant pas cet item.

Indépendamment des progrès réaliser dans de nombreux domaines de la thérapeutique, l’évolution de la survie après transfusion reste une donnée importante pour tenter d’apprécier son impact chez les patients, y compris le rapport coût / bénéfice. Borkent-Raven et collaborateurs viennent d’apporter des informations sur ce sujet dans une étude réalisée aux Pays Bas sur une période de 10 ans (1996-2006) (Borkent-Raven et a. Survival after transfusion in the Netrherlands. Vox Sanguinis 2011;100:196-203). Les auteurs ont collecté leurs données sur un échantillon comprenant vingt établissements hospitaliers consommant 28% des produits sanguins utilisés aux Pays Bas [étude PROTON (PROfiles of TransfusioN recipients)]. Ils ont réalisé un croisement avec le fichier des décès du registre de la population néerlandaise (Dutch Municipal Population Register) qui contient les données démographiques de base de tous les citoyens néerlandais. Ils ont employé comme critère la survie après toute transfusion plutôt que la survie globale du patient (mesure après la date de la première transfusion par exemple). La survie a été estimée pour chaque type de produit sanguin labile, concentré érythrocytaire, concentré plaquettaire et plasma frais congelé. L’estimation a été effectuée par classe d’âge d’une durée de 5 ans. Pour les nouveau-nés, une classe particulière a été établie. Pour les personnes âgées également, mais avec une classe d’âge différente selon le produit : plus de 90 ans pour les concentrés érythrocytaires, plus de 85 ans pour le plasma frais congelé et plus de 80 ans pour les concentrés plaquettaires.

Sur les 2 405 012 transfusions de produits sanguins, 92% ont pu être croisées avec le registre. Pour tous les concentrés érythrocytaires, 65,4% avaient été transfusés chez un patient encore en vie un an plus tard. Pour les plasmas frais congelés, le taux était plus élevé (70,4%), mais il était plus faible pour les concentrés de plaquettes (53,9%). Pour une survie à 5 ans, la valeur des taux diminuait, mais conservait le même profil : 46,6% pour les concentré érythrocytaires, 58,8% pour les plasmas frais congelés et 39,3% pour les concentrés de plaquettes. Les taux diffèraient selon l’utilisation du critère « survie après toute transfusion » ou « survie après la première transfusion ». Ainsi pour une survie de un an avec les concentrés érythrocytaires, une différence de 19% était observée entre les deux critères. Elle atteignait 38% à dix ans. L’âge moyen des receveurs était de 60,6 ans (médiane à 66 ans) au moment de la transfusion contre 60,8 ans (médiane à 67 ans) lors de la première transfusion.

Les ratios standardisés de mortalité sont plus élevés que dans la population générale après ajustement d’âge et de sexe. L’espérance de vie totale après toute transfusion est de 12,9 ans contre 16,1 ans après la première transfusion. Les taux de mortalité des receveurs 10 ans après transfusion demeurent encore élevé comparativement à la population générale.

En comparant avec d’autres études, les auteurs notent que les taux de décès des patients transfusés sont plus bas aux Pays Bas que dans d’autres pays.

Pierre MONCHARMONT