Conclusionsde la table ronde organisée par l'EFS, le 26 septembre 2000, sur
le traitement des urgences transfusionnelles obstétricales

Participants à la table ronde

ANDREU Georges, BENHAMOU Dan, CARBONNE Bruno, CHIARONI Jacques, COURTOIS Françoise, DUCLOY-BOUTHORS Anne-Sophie, FRANCOIS Anne, HERVE Patrick, MARIA Bernard, PALOT Maryse, ROUBINET Francis, TOURNAIRE Michel

Experts de validation du texte

BLOND Annette, FERRER LE CŒUR Françoise, JEANNE Michel, KRAUSE Claire, LIENHART André, MORTELECQUE Rosanna, MANNESSIER Lucienne et le Groupe Immuno-Hématologie de la SFTS, ROUGER Philippe.

Texte soumis pour avis à

Société Française d'Anesthésie et de Réanimation, Collège des Obstétriciens, Directeurs d'établissement de l'EFS, Société Française de Transfusion Sanguine.

Introduction

En obstétrique, l'hémorragie du péripartum est la première cause de mortalité maternelle en France (33%) [6]; elle revêt une gravité qui est souvent sous estimée. L'incidence des transfusions en péripartum est faible (elle a été estimée entre 1 à 2,5 % pour les accouchements par voie basse et entre 3,1 à 5 % pour les accouchements par césarienne), mais l'hémorragie se caractérise par sa survenue imprévisible et, dans 84% des cas, chez des femmes sans facteur de risque particulier (en dehors de placenta praevia, d'hématome rétro-placentaire, de multiparité…).

Il existe deux types de risques :

- le risque immunologique, lié au passage d'hématies fœtales pendant la grossesse. Il impose une gestion des analyses immuno-hématologiques adaptée à ces urgences (en particulier la recherche d'anticorps anti-érythrocytaires, communément appelées agglutinines irrégulières ou RAI),

- le risque lié au retard à la transfusion : dans certains cas en péripartum, la disponibilité des produits sanguins labiles (PSL) doit être immédiate.

Or, malgré l'existence de textes réglementaires pour la périnatologie [1-5], l'analyse des prescriptions des produits sanguins labiles et des examens d'immuno-hématologie, tout comme les modalités de la distribution en urgence montrent une grande hétérogénéité des pratiques.

Un groupe d'experts rassemblant des gynécologues-obstétriciens, des anesthésistes-réanimateurs, des biologistes et des spécialistes des produits sanguins s'est réuni en septembre dernier pour proposer des recommandations, dans le but d'éviter en situation d'urgence obstétricale des dysfonctionnements à l'origine d'accidents graves parfois mortels. Ces recommandations ont été regroupées en quatre chapitres: la définition de niveaux d'urgence, les règles de surveillance immuno-hématologique de la grossesse, les propositions pour répondre à l'urgence vitale transfusionnelle, l'évaluation et le suivi des actions.

 

I. Définition de niveaux d'urgence

 

Pour permettre une bonne communication entre l'établissement de soin et le site transfusionnel, il convient de distinguer selon la brutalité de survenue et la gravité du saignement, trois niveaux d'urgences, et d'en mesurer leurs conséquences en matière de distribution:

1) L'urgence vitale immédiate (UVI),

où la distribution des produits sanguins est sans délai : les concentrés de globules rouges (CGR) sont distribués immédiatement, éventuellement sans groupe sanguin s'il n'est pas disponible. La prescription des PSL le mentionne et les prélèvements des échantillons pour les analyses immuno-hématologiques seront acheminés dès que possible.

2) L'urgence vitale (UV),

où l'obtention des PSL doit être inférieure à 30 minutes. Les CGR doivent être distribués avec un groupe conforme, éventuellement sans RAI si l'examen n'est pas disponible. La prescription des PSL le mentionne et les échantillons pour les analyses immuno-hématologiques l'accompagnent. La RAI sera réalisée dès que possible.

3) La transfusion urgente:

le temps disponible est le plus souvent de deux à trois heures, permettant la réalisation de l'ensemble des examens immuno-hématologiques (dont la RAI si elle date de plus de 3 jours) et l'obtention de PSL isogroupes et au besoin compatibilisés. Toutefois, la situation hémorragique pouvant se modifier à tout moment, il est possible de requalifier le niveau de l'urgence.

 

II. Les règles de surveillance immuno-hématologique de la grossesse

Le risque hémorragique se situant au moment de l'accouchement, il convient de prévoir pendant les différentes consultations prénatales l'ensemble des analyses biologiques nécessaires à la sécurité transfusionnelle : typage érythrocytaire et recherche d'anticorps anti-érythrocytes (RAI), en prenant en compte le fait que le risque de passages fœto-placentaires se situe à la fin de la gestation (situation privilégiée d'immunisation).

II-1) Le typage érythrocytaire

Les recommandations du décret n°92-143 [3] sont bien adaptées, car il prévoit pour une première grossesse et lors du premier examen prénatal lors (3ème mois de la grossesse), si la patiente ne possède pas de carte de groupe sanguin complète avec un phénotype dans les systèmes de groupe Rh et Kell, une première détermination des groupes sanguins ABO, Rh et Kell, puis une deuxième détermination du groupe sanguin lors du 8ème (6ème examen prénatal) ou 9ème mois de grossesse (7ème examen prénatal), si nécessaire.

II-2) La recherche d'anticorps anti-érythrocytaires

II-2-1 Dépistage

II-2-1-a) Pour les femmes RhD négatif (RH:-1) avec ou sans antécédent transfusionnel ou RhD positif (RH1) avec antécédent transfusionnel et/ou obstétricaux, la surveillance immuno-hématologique préconisée par le décret n° 92-143 [3] est également bien adaptée ; elle recommande des recherches d'anticorps anti-érythrocytaires (RAI) lors du 3ème mois de la grossesse (premier examen prénatal), puis aux sixième (4ème examen prénatal), huitième (6ème examen prénatal) et neuvième mois (7ème examen prénatal) de la grossesse.

II-2-1-b) Pour les femmes RhD positif (RH1), sans antécédent transfusionnel: les recommandations de l'Arrêté du 19/04/1985 [1] et du décret n°92-143 [3], réunies dans un projet de synthèse de textes réglementaire par l'ANAES [7], préconisent la RAI au moins à 2 reprises avant l'accouchement : avant la fin du 3ème mois (1er examen prénatal) et au cours des 8ème ou 9ème mois (6ème ou 7ème examen prénatal), avec une préférence au 9ème mois si la recherche était négative au 1er examen prénatal en raison de la fréquence des hémorragies fœto-maternelles au cours du troisième trimestre de la grossesse[8]. Cette deuxième RAI doit permettre de répondre de manière adaptée en cas d'urgence vitale transfusionnelle.

II-2-1-c) Pour les femmes RhD positif (RH1) sans antécédent transfusionnel mais faisant l'objet en cours de grossesse de manœuvres obstétricales avec risque de passages importants d'hématies fœtales (ponction amniotique, chute ou traumatisme, décollement d'un placenta normalement ou anormalement inséré…), il convient d'évaluer au cas par cas l'opportunité d'une RAI supplémentaire.

II-2-1-d) La surveillance immuno-hématologique en post-partum : une grossesse étant considérée comme un épisode transfusionnel (transfusion in utero), la surveillance de la survenue d'une immunisation secondaire par une RAI serait à préconiser. Ce point étant aujourd'hui insuffisamment documenté, serait à confirmer par une étude prospective sur la surveillance des immunisations post-natales chez la femme RHD positif.

II-2-2 Identification

En cas de dépistage positif, une identification et un titrage des anticorps seront immédiatement réalisés ; le rythme des examens ultérieurs sera décidé en fonction de la spécificité, du titre et de la concentration des anticorps.

III. Propositions d'organisations

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Afin d'améliorer la réponse à l'urgence, il convient de préciser les modalités qui reviennent soit à l'établissement de santé (ES), soit au site transfusionnel (ST), soit à l'ensemble des deux établissements, en gardant à l'esprit que tout défaut de communication peut aggraver le risque.

III-1) Ce qui revient à l'établissement de santé (ES)

L'ensemble des participants pensent qu'il conviendrait que toutes les maternités s'organisent pour :

- Disposer des résultats au moment opportun dès l'entrée de la femme en salle de travail, en vérifiant la conformité de tous les documents nécessaires pour une transfusion (carte de groupe sanguin complète, résultat de la RAI du dernier examen prénatal). En effet, une partie des difficultés rencontrées résulte de l'indisponibilité des documents au moment de la prescription des PSL (retards d'attribution, prescriptions excessives d'examens…). La meilleure solution serait la disponibilité des résultats d'examens par transmission informatique, réalisant ainsi la compatibilité électronique avec la distribution des PSL.

- Avertir le site transfusionnel (ST) du caractère de l'urgence: UVI, UV ou urgence transfusionnelle classique, afin que toutes les procédures soient mises en œuvre immédiatement. La notion d'urgence vitale n'étant pas toujours clairement identifiée par tous les acteurs, une réflexion devra être menée pour que la transmission de cette information soit la plus efficace possible, par exemple: une identification claire de la notion d'urgence vitale sur la fiche de prescription accompagnée d'un appel téléphonique, la transmission d'un fax complétée d'un appel téléphonique, etc.

- Avertir le ST en cas de RAI positive, afin que des produits sanguins compatibles soient préparés le plus rapidement possible en vue d'une éventuelle transfusion.

- Dépister les usurpations d'identités et en cas de doute, ne pas hésiter à contrôler sur de nouveaux échantillons, notamment pour les patientes prises en charge en urgence et n'ayant pas fait l'objet d'un contrôle de groupe sanguin au cours de la grossesse en cours.

III-2) Ce qui revient au site transfusionnel (ST)

- Reconnaître les prescriptions de PSL relevant d'une UVI, d'une UV ou d'une transfusion urgente et d'y répondre par une distribution adéquate :
- distribution immédiate,
- distribution différée (le sang est préparé mais reste en réserve sur le ST),
- acheminement de précaution vers le dépôt, mais posant le problème des produits inutilisés (cette situation mérite une réflexion spécifique).

- Mettre dès réception des échantillons les examens immuno-hématologiques en route, en communiquant les résultats biologiques au prescripteur le plus rapidement possible. Il faut rappeler que même si les recommandations de surveillance objectivées par une RAI de fin de grossesse (voir § I-2) diminuent le risque immunologique de cette situation, le prélèvement des RAI (de moins de 3 jours) doit permettre de mettre en évidence un anticorps d'apparition récente et de poursuivre la transfusion dans les meilleures conditions de sécurité.

- Réaliser une association informatique en prenant en compte à la fois, les résultats immuno-hématologiques et les produits distribués par le ST. La sécurisation de l'attribution reposant sur la fiabilité des données immuno-hématologiques du receveur qui sont introduites dans le système informatique, il est nécessaire que chaque procédure vise à transférer informatiquement les données validées (au moins une des deux déterminations de groupe sanguin), du laboratoire vers le service de distribution. En cas de prise en compte manuelle d'une partie des résultats des analyses provenant notamment d'un autre laboratoire, (une détermination de groupe sanguin issu d'une carte de groupe sanguin complète), les données doivent obligatoirement répondre aux critères réglementaires en vigueur.

- Prendre en compte un résultat de RAI négatif réalisé dans un autre laboratoire que celui du site distributeur, dans la mesure où l'analyse a été réalisée selon des critères réglementaires [4].

III-3) Ce qui revient à la fois à l'établissement de soins et au site transfusionnel :

- Analyser dans chaque département. le maillage entre les services de gynéco-obstétrique et les sites transfusionnels, en concertation avec les services déconcentrés de l'Etat et l'Agence Régionale d'Hospitalisation.

Les établissements de soins qui pratiquent des accouchements doivent pouvoir disposer de concentrés de globules rouges (CGR) dans un délai qui a été estimé par les experts comme devant être inférieur ou égal à 30 minutes, " tout au long de l'année et 24 heures sur 24 ; ces produits doivent être délivrés dans des délais compatibles avec l'impératif de sécurité "[5]. Trois solutions sont possibles:

- un site transfusionnel de l'EFS est situé à proximité,
- un dépôt de sang ayant une autorisation d'attribution est situé dans l'Etablissement de Santé,
- un dépôt d'urgence vitale autorisé existe dans l'établissement sous des conditions strictement réglementées.

Pour une bonne gestion des stocks de produits sanguins phénotypés, le nombre des dépôts d'urgence doit être réduit à son strict minimum. Ce maillage pour être réussi suppose une concertation parfaite entre tous, en veillant à ce que chacun se situe face à l'enjeu majeur qui est d'éviter le décès maternel. Ce maillage doit évoluer en fonction de la restructuration de l'organisation nationale des maternités.

- Etablir la quantité et la qualité des stocks d'urgence vitale. Le stock doit être volontairement réduit (son but est d'assurer la survie de la mère et de l'enfant pendant le temps d'acheminement des autres CGR) ; il est conseillé qu'il ne soit constitué que de 2 CGR O RH : -1-2-3 KEL : -1 (anciennement ccddee, K-) et de 2 CGR O RH : 12-3-45 KEL : -1 (anciennement CCDee). La qualification CMV négatif n'est pas nécessaire dans ce contexte.

- Réaliser avec l'ensemble des acteurs concernés (au travers des comités de sécurité transfusionnelle et d'hémovigilance) des procédures de prescription d'urgence vitale tant, au niveau de l'établissement de soins, que de sa réponse au niveau du site transfusionnel. Les deux établissements devant s'assurer de leur bon fonctionnement. Il est demandé de clarifier entre autres, l'ensemble des modalités de communication entre les ES et les ST : fax, téléphones (procédures d'appels: internes ou externes à l'établissement), informatisation… Ces procédures pouvant éventuellement prendre la forme "d'arbre décisionnel d'utilisation des CGR dans le cadre de l'urgence vitale" (voir Annexes).

- Prévoir le réapprovisionnement du dépôt d'urgence. Les hémorragies du péripartum étant souvent importantes et de survenue brutale, la capacité de réponse d'un dépôt de sang peut être rapidement dépassée : il est donc indispensable que le responsable du dépôt soit prévenu sans attendre afin d'avertir le site transfusionnel pour assurer une bonne prise en charge des besoins transfusionnels ultérieurs de la patiente (ou d'un autre sujet nécessitant aussi des transfusions en urgence).

- Organiser les transports. Le problème de l'organisation de l'acheminement des produits n'est aujourd'hui ni réglé, ni même défini (en l'absence de bonnes pratiques de transport). Il semble au groupe que doivent être précisés pour l'urgence :

- qui apporte les examens,
- qui transporte le sang,
- dans quels délais : la notion de délai d'acheminement est essentielle dans la prise en compte du temps de réponse à l'UVI ou à l'UV. Il est important de connaître le délai minimum d'obtention des produits sanguins, incluant le temps de transport et les délais incompressibles de distribution en fonction des examens nécessaires, de façon à permettre au clinicien d'anticiper au mieux les évènements ;
- les horaires d'ouverture, les modalités des jours fériés doivent être particulièrement étudiés ;
- avec quels moyens : le type de véhicule (à 2 ou 4 roues), le type de containers, le mode de conservation sous contrôle…) ;
- qui réapprovisionne le dépôt, selon quelles modalités…

Il conviendra d'établir un cahier des charges précis et/ou un contrat d'engagement devra définir clairement les différents points du transport liant : l'ES, le ST et le transporteur.

 

IV. L'évaluation et le suivi des actions

 

- L'évaluation de l'efficacité des mesures mises en place doit être clairement définie dans un calendrier : il est conseillé qu'elle soit hebdomadaire dans un premier temps, puis mensuelle, puis trimestrielle.

- Elle devra être réalisée à la fois par l'établissement de santé et par le site transfusionnel. (A des fins pratiques, une liste des items indispensables à prévoir dans une procédure d'urgence, allant de la prescription des produits sanguins à la réalisation de l'acte dans le cadre de l'urgence transfusionnelle, est communiquée à titre d'exemple en annexe).

- Il est recommandé que toute trace écrite des éventuels évènements figurent dans le dossier clinique, à des fins d'enquête ou d'évaluation ultérieure.

 

Textes de référence

 

1- Arrêté du 19 avril 1985 modifiant l'arrêté du 27 août 1971 relatif aux examens médicaux pré et postnatals.

2- Circulaire DGS /3B/552 du 17 Mai 1985 relative à la prévention des accidents transfusionnels et des accidents d'allo-immunisation.

3- Décret n° 92-143 du 14 février 1992 relatif aux examens obligatoires prénuptial, pré et post-natal (Journal Officiel du 16 février 1992).

4- Arrêté du 4 août 1994 relatif aux bonnes pratiques de distribution des produits sanguins labiles.

5- Arrêté du 25 avril 2000 relatif aux locaux de prétravail et de travail, aux dispositifs médicaux et aux examens pratiqués en néonatologie et en réanimation néonatale

6- COEURET-PELLICER M, BOUVIER-COLLE M.H, SALANAVE B et le Groupe Moms. Les causes obstétricales de décès expliquent-elles les différences de mortalité maternelle entre la France et l'Europe? J Gynecol Obstet Biol Reprod, 1999; 28:62-68

7- Synthèse des textes réglementaires concernant l'utilisation thérapeutique des transfusions de produits sanguins labiles (p30-31) ANAES, juillet 1997. Texte disponible sur le site ANAES: Publications en hématologie

8- BOWMAN JM, POLLOCK JM, BIGGINS KR. Antenatal studies and the management of haemolytic disease of the newborn. Methods in haematology. Churchill, Livingston. 1988; 2, 3:129-50


Tableau I : Procédure d'urgence vitale


Procédure générale d'une prescription de PSL à l'acte transfusionnel

(Liste des items)

 

Toute procédure doit définir au moins :

 


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